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VU DE SUISSE Dieudonné, “fournisseur de munitions populaires”

Placé en garde à vue le 13 janvier, Dieudonné sera jugé en correctionnelle pour "apologie d'acte de terrorisme" pour avoir dit qu'il se sentait "comme Charlie Coulibaly". Une fois de plus, l'humoriste tend un piège à la France de l'union nationale, selon ce journaliste suisse.

Jean-Christophe Cambadélis n’est plus à la tête d’une formation menacée d’imploser, et plombée par l’impopularité présidentielle. [Le 14 janvier], le patron du Parti socialiste français, le ton grave en raison des attentats récents, a au contraire insisté sur la proposition d’une réflexion commune sur les questions de sécurité, qu’il vient de lancer à l’opposition de droite, parlant de l’unité nationale comme d’un devoir, et se disant confiant dans “l’union sacrée” des forces politiques, dans une France touchée au cœur par le terrorisme.

Changement de registre, par contre, quelques minutes après son discours, dans la cour du siège du PS, rue de Solférino à Paris. A la réception, plusieurs exemplaires de Charlie Hebdo commandés par le parti et tout juste livrés suscitent aussitôt la convoitise, vu l’épuisement immédiat des stocks disponibles dans les kiosques de la capitale où plus de 700 000 Charlie ont disparu dès les premières heures, amenant l’éditeur à le réimprimer à plusieurs millions d’exemplaires.

Mais les conversations, elles, portent moins sur les ventes records du journal satirique que sur l’autre nouvelle matinale : l’interpellation pour “apologie du terrorisme” de l’humoriste Dieudonné, déjà condamné pour incitation à la haine raciale. Dieudonné ou le piège dans lequel l’unanimité nationale officielle française doit prendre garde de ne pas tomber.

Ce qui ne marche pas

Les responsables du PS le savent. Tous ceux qui 'ne sont pas Charlie' se tiennent aux aguets, en embuscade. Laura Slimani, présidente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) est lucide sur les non-dits de la manifestation monstre du 11 janvier : “Il manquait les classes populaires et les jeunes issus de l’immigration maghrébine et africaine”, reconnaît-elle. Juste à côté, l’historien Alain Bergounioux, directeur de la Revue socialiste et grand spécialiste des mouvements populaires français, confirme : “Quatre millions de manifestants, cela reste une frange de la population. Si l’on fait la comparaison avec la liesse de la Libération en 1944-1945, on doit se souvenir qu’alors, beaucoup de Français préféraient rester chez eux. A commencer par les innombrables pétainistes et les collabos.”

Dieudonné est, de ce point de vue, un symbole. “Dans ma circonscription, beaucoup de jeunes blacks et beurs le voient comme une sorte de chef rebelle. Entre eux, ils se font des ‘quenelles’”, raconte un élu socialiste du nord. Plus grave : Dieudonné est, avec ses sketches antisémites, ses costumes de scène africains, ses origines camerounaises et son discours identitaire, le point de confluence de ce qui ne marche pas : la réintégration des jeunes musulmans ou noirs mal formés en situation d’échec scolaire, attirés par la violence et impossibles à contourner dans les quartiers où ils squattent pour leurs trafics les cages d’escaliers et les lieux publics.

“La force maléfique de Dieudonné, c’est de donner à ces jeunes ‘énervés’ l’attirail verbal et musical pour séduire et frimer”, poursuit un responsable du service d’ordre du PS, mobilisé [le 11 janvier] dans le périmètre de la manifestation réservé aux dirigeants étrangers. “Ils chantent son refrain ‘Shoah Nana’. Ils vont sûrement reprendre, demain, son expression ‘Je suis Charlie Coulibaly’, qui lui vaut d’avoir été interpellé par la police. Dieudonné, c’est le fournisseur de munitions populaires, de bons mots, tandis que d’autres font des sermons islamistes ou fournissent des armes. Pour ces jeunes souvent en mal de repères, Charlie et Dieudo, c’est le même combat. Comme si se moquer des religions dans un pays laïc était comparable à la négation d’un crime contre l’humanité !”

L'école en première ligne

[Le 14 janvier], le débat a d’ailleurs presque fait irruption à l’Assemblée nationale. Le nom de Dieudonné n’a pas été prononcé parmi les députés qui se retrouvaient pour la séance de questions au gouvernement, au lendemain du discours vibrant du premier ministre Manuel Valls mardi, et leur décision spontanée d’entonner alors La Marseillaise dans l’hémicycle, pour la première fois depuis… novembre 1918.

Interrogée, la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Bel­kacem, a admis qu’environ 200 incidents avaient été recensés dans les écoles, lors de la minute de silence le 8 janvier, puis lors des discussions autour de ces actes terroristes ; 40 de ces incidents ont été signalés à la police.

Bien peu, dans un pays ou l’on compte 12 millions d’élèves et 64 000 écoles ? Rébellion adolescente et très minoritaire? Peut-être. Mais assez pour s’inquiéter de voir ‘Dieudo’ s’affronter à Charlie dans les établissements scolaires : “Franchement, je ne sais pas comment je m’y prendrais si j’avais plusieurs élèves turbulents d’origine arabe comme c’est le cas dans d’autres classes techniques”, reconnaît Marie, jeune enseignante dans un lycée agricole près de Paris. “Je sais par mes collègues que beaucoup de gamins leur ont demandé, dès le 8 janvier, pourquoi les profs pleurent Charlie et haïssent Dieudonné.”

“Nous ne pouvons pas laisser passer cela. Oui, l’école est en première ligne”, a tonné la ministre devant les députés, parlant de prochaines initiatives pour favoriser “l’échange” avec les parents. Sauf que trop souvent, comme le déplorent les éducateurs sur le terrain, ces derniers ont perdu leur autorité et même parfois le contact avec ces jeunes guettés par la spirale du sectarisme et du fanatisme.

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