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Sur les statistiques ethniques, la loi française est déjà aussi permissive qu'au Royaume-Uni (en théorie)

DISCRIMINATION - Il n'y a pas que Robert Ménard, Valeurs Actuelles et Le Journal de Béziers qui sont pour les statistiques ethniques. Dans un sondage Opinion Way paru le 13 mai, 59% des Français se déclarent également favorables à leur développement en France.

Soupçonné - sur la base de ses propres déclarations - de ficher les élèves musulmans de Béziers, Robert Ménard a contre attaqué par voie de courrier le 11 mai, demandant aux parlementaires de déposer "une proposition de loi visant à libéraliser les statistiques ethniques lorsque la connaissance de celles-ci participe de l'établissement des politiques publiques".

Épargnons à la France des heures de débats enflammés, et à Robert Ménard de nouveaux courriers éplorés, la France dispose déjà de tout l'arsenal législatif nécessaire. Au même titre que le Royaume-Uni, souvent cité comme un exemple de permissivité en la matière. "Les deux pays ont le même cadre juridique fixé par une directive européenne de 1995, explique Patrick Simon, démographe à l'Institut national d'études démographiques (Ined). C'est la politique contre les discriminations qui est différente."

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Proposé par Bpifrance

En Angleterre comme en France, les statistiques sur les origines, la couleur de peau ou la religion, peuvent être recueillies pour peu qu'elles visent à lutter contre la discrimination, ou à des fins de connaissance. "S'il y a un cadre politique pour le faire, la Cnil validera", estime Patrick Simon.

Mais voilà, pour l'instant la France ne veut pas... Explications.

Ce qui se fait déjà

Pour commencer, il n'existe aucune définition objective, scientifique des "statistiques ethniques". "C'est assez comique. Tout le monde semble savoir de quoi il s'agit, mais selon les cas, l'origine des parents, la nationalité ou le nom sont considérés comme 'ethniques'. Et encore, c'est sans parler de la 'race' qui n'existe pas mais qui est également citée dans la loi", témoigne Patrick Simon, de l'Ined.

Qu'est-ce qu'être musulman? Est-il pertinent de différencier noirs et métisses? Sur quels critères? Autant de questions insolubles contournées par le recours à l'auto-déclaration. Sont noirs, maghrébins, ou blancs, ceux qui se reconnaissent comme tels. Sans garanti cette fois que le fils d'un couple franco-algérien qui se sent maghrébin le soit "visiblement" aux yeux des autres.

Ces précautions théoriques posées, l'Ined a pu réaliser en toute légalité une grande enquête "Trajectoire et Origines" en 2008/2009. Avec la bénédiction de la Cnil, ses équipes ont enquêté sur les Algériens, les Marocains, les Turques, et leurs descendants, les groupes "ethno-raciaux" tels que les Asiatiques, les "Africains et les domiens", les Maghrébins, etc.

Même les statistiques religieuses dont rêve Robert Ménard y figurent. La France compte 43% de catholiques, 2% de protestants, 0,5% de juifs...

Si le maire d'extrême-droite s'était plongé dans cette étude, il saurait aussi qu'il y a en France environ 4,1 millions de "personnes qui ont déclaré avoir une religion, et que celle-ci relève de l’Islam."

Estimations du nombre de musulmans en France

Ou encore que ces musulmans se marient plus entre eux que les juifs, mais moins que les orthodoxes:

Ce que l'on pourrait aussi faire (mais qu'on ne fait pas)

Si les outils sont là, pourquoi n'a-t-on pas plus d'informations sur les descendants d'immigrés, avec toutes les précautions scientifiques qui s'imposent? "Il existe énormément de données, mais nous n'avons pas la même approche du sujet que le Royaume-Uni", explique Hélène Garner, chargée de mission au département Travail et Emploi du Commissariat général à la Stratégie et à la Prospective.

Là où les anglo-saxons n'ont aucun problème à classer leurs citoyens en groupes et sous-groupes, l'universalisme à la française s'y refuse. À la couleur de peau, au groupe "ethno-racial", l'administration privilégie une approche géographique en fonction des origines des immigrés. Les enquêtes comme "Trajectoire et origine" sont rares.

La discrimination positive à la française se base aussi sur des critères territoriaux, avec de nombreuses zones à statuts spéciaux. Il n'y a guère que les handicapés qui bénéficient de quota dans le monde de l'entreprise - celles de plus de 20 salariés doivent en compter 6% dans leurs effectifs - et les femmes en politique depuis la loi sur la parité.

Mais ce type d'approche géographique fait que l'administration n'est plus capable d'identifier les descendants d'immigrés au-delà de la deuxième génération. Ce sont des Français, nés de parents Français, au même titre que l'héritier d'une vieille noblesse multiséculaire.

Le débat prend alors une tournure plus politique que technique. Pour certains, c'est une véritable politique de l'autruche. "Dans notre modèle d'égalité, il faut ressembler à la majorité pour devenir égaux, analyse Patrick Simon, de l'Ined. Aux Etats-Unis, au Canada, en Angleterre, il y a la conviction que les discriminations viennent de la société et de ses institutions. Ce sont elles qu'il faut contrôler. Il y a en France au contraire une vision très positive du système résultant de l'universalisme des Lumières. Les discriminations sont imputées à des comportements individuels."

Pour d'autres, c'est justement ce qui fait toute la beauté du système égalitaire français. Pas question d'aller chercher dans le détail en segmentant les Français. C'est pourquoi la Cnil voit d'un mauvais œil les enquêtes sur la couleur de peau, et qu'il n'existe pas de données régionales, ou départementales, sur les catholiques, les musulmans, ou les protestants.

Pourquoi Robert Ménard aurait de toute façon tout faux

En attendant une éventuelle réponse des députés à sa lettre, Robert Ménard a quand même tout faux. Même s'il s'avère qu'il n'a effectivement pas tenu de liste, la logique de sa démarche va à l'encontre de l'esprit des lois en vigueurs. D'une, elle ne respecte pas la règle sacro-sainte de l'anonymat. En tant qu'élu local, il connaît les (supposés) musulmans de sa commune.

De deux, il les classe au faciès. Mamadou et Abdel musulmans? Marc et Michel catholiques? Indéfendable aux yeux de la Cnil. De trois, en France comme ailleurs en Europe, la constitution de fichiers n'est autorisée que dans le but de lutter contre les discriminations. De la part d'une mairie d'extrême-droite, ouvertement anti-immigrée, on peut douter de sa bonne volonté...

Tag(s) : #société
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