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04/02/2014 | 18h30

Portrait d’arnaqueurs où tout le monde bluffe et se cache derrière des masques, sauf le cinéaste, qui réussit sa mue en se mettant à nu.

Un grand hôtel new-yorkais, en 1978. Un type se recoiffe devant son miroir. Plus exactement, il agrémente les quelques cheveux qui se battent sur son crâne avec une misérable touffe artificielle. Même pas une moumoute, non, juste une poignée de poils formant un petit nid ridicule, qui ne fera pas davantage illusion que la coiffe rabattue du PPDA de la grande époque. Le pire postiche de l’histoire du rajout capillaire.

Le type en question s’appelle Irving Rosenfeld, il est arnaqueur professionnel et c’est Christian Bale, l’as du déguisement, le roi du régime extrême – moins trente kilos par-ci (The Machinist), plus vingt par-là (The Dark Knight) –, qui lui donne son bide flasque et son regard torve. Tout en étant un pastiche éhonté de Robert De Niro, c’est sans doute l’un de ses meilleurs rôles, car il y assume enfin la part bouffonne de son art.

Arnaque, politique et corruption

Postiche, pastiche : toute la problématique d’American Bluff est livrée dans ces premières minutes, bluffantes en effet. Ce n’est pas très subtil, certes, mais c’est bien le principe du bluff : en mettre plein les yeux. Autour d’Irv gravite une foule de personnages : la stupid blond girl qui lui sert d’épouse (Jennifer Lawrence), sa maîtresse, faussaire elle aussi (Amy Adams), un flic un peu trop vertueux et son supérieur scrupuleux (Bradley Copper et Louis C.K.), un maire populiste (Jeremy Renner), un parrain de la Mafia, un prince arabe, etc. Tous embarqués dans une sombre histoire d’arnaque, de politique et de corruption… Or, disons-le d’emblée, celle-ci a peu d’intérêt, et il faudra en passer par de pénibles circonvolutions narratives pour toucher, au bout du compte, le point nodal du film.

Au fond, à travers ce portrait d’arnaqueurs, David O’Russell, tout petit maître adoré par la critique américaine et l’académie des oscars, accepte enfin d’apparaître à nu, de livrer les clés de son cinéma. Un cinéma farcesque et hystérique dont l’agitation tous azimuts n’a pas toujours masqué la vacuité – Les Rois du désertFighterHappiness Therapy, autant de baudruches.

Dans les pas de Scorsese

Si ce film-ci est différent, c’est que le cinéaste ne cherche plus à mentir sur la marchandise. Les coulis de voix off, les personnages qui marchent au ralenti, les travellings avant fugaces et les standards rock en bande sonore sont depuis longtemps des effets de signature de Martin Scorsese. Et il n’est pas anodin que Robert De Niro, venu ici faire un caméo, porte les mêmes lunettes et soit coiffé pareil que son vieux copain Marty (idée très drôle, au passage). American Bluff marche ainsi dans les pas des Affranchis ou de Casino, avec une ostentation telle que l’on ressent d’abord une gêne à contempler si pâle copie. Gêne d’autant plus forte que le maître se tient juste à côté, en pleine forme, avec son dernier chef-d’œuvre toujours à l’affiche. O’Russell a même le toupet de faire se demander à Christian Bale, admirant un faux Rembrandt, lequel de l’original ou de la contrefaçon est le plus beau…

La triche, une question de survie

Sa ténacité finit pourtant par payer. Dans le dernier tiers du film, une fois tous les éléments de l’intrigue laborieusement posés, O’Russell paraît enfin se libérer de son complexe d’infériorité. Les scènes respirent davantage et les acteurs, tous sans exception, donnent leur meilleur – s’il est un talent que l’on ne peut dénier au réalisateur, c’est bien la direction d’acteurs. C’est finalement à Christian Bale, son porte-voix, que revient le droit de formuler la morale du film : la triche est une question de survie. Et tant pis pour la moraline et ses promoteurs à la petite semaine (cf. le flic qui voulait se payer des sénateurs).

L’air de rien, après deux heures et demie de gesticulations, l’aveu fait mouche. Et prouve que O’Russell, à défaut d’être Scorsese, a retenu autre chose de son cinéma que les tics de mise en scène. Quelque chose que Le Loup de Wall Street soulignait d’ailleurs en creux : la fébrilité absolue des charlatans, la terreur derrière le masque qui en fait, à défaut de gens fréquentables, de si beaux personnages de cinéma. On ne leur en demande pas plus.

Tag(s) : #Art-Culture
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