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Le Monde.fr | 24.10.2013 à 19h15 • Mis à jour le 24.10.2013 à 20h07 | Par Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro, correspondant régional)

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Le 14 août, lors d'une manifestation réclamant la vérité sur le sort d'Amarildo de Souza, disparu à Rio après son interpellation par la police.

C'est une affaire sordide qui remonte au 14 juillet, un mois après le début de la fronde sociale qui a déferlé sur le Brésil. Un cas de disparition forcée qui vient s'ajouter aux 25 000 enregistrées depuis le début des années 2000 à Rio de Janeiro, mais qui n'en finit pas de faire couler de l'encre et a conduit, jeudi 23 octobre, à une nouvelle vague d'arrestations au sein des forces de l'ordre. Comme si cette "affaire Amarildo", du nom de ce maçon de 43 ans torturé à mort par la police militaire, avait soudainement porté une lumière crue sur les violences subies par les habitants des quartiers les plus déshérités de la ville. Comme un fil rouge tendu tout au long des protestations de ces derniers mois et venant rappeler les heures les plus noires de la répression militaire.

Ce 14 juillet, la Rocinha, la plus grande favela du pays, surplombant les quartiers les plus chics de la cité carioca, est le théâtre depuis la veille d'une opération "Paix armée", déclenchée après une vague d'agressions survenue aux alentours. Une partie des 300 officiers déployés sur place appartiennent à l'unité de police pacificatrice (UPP), installée depuis novembre 2011 dans la favela.

Amarildo de Souza est au Bar do Julio, un petit troquet du micro-quartier Roupa Suja ("linge sale", en français). Il est appréhendé par huit policiers et emmené au poste. Ils sont à pied et empruntent une ruelle à proximité de la Rua 2. C'est là qu'Elizabete Gomes da Silva, sa femme, tente de s'interposer et de convaincre les policiers de relâcher son mari, en vain. Elle ne le reverra plus. Amarildo, soupçonné de connaître des trafiquants, et même d'avoir les clés de certaines caches de drogues et d'armes, comme l'expliqueront plus tard les policiers, disparaîtra après avoir franchi la porte du siège de l'UPP, situé au nord de la Rocinha. Plus de trois mois après les faits, son corps n'a toujours pas été retrouvé, malgré huit autopsies réalisées dans toute la région de Rio de Janeiro sur des cadavres non identifiés.

 

La sœur et le fils d'Amarildo de Souza, le 1er octobre.

FAUX TÉMOIGNAGE

Le lendemain, les proches d'Amarildo déclarent sa disparition. Commence alors une longue saga judiciaire jalonnée de nombreux rebondissements. D'après la première version de la police, les agents auraient confondus ce père de six enfants avec un trafiquant recherché. Selon eux, Amarildo aurait été relâché dans la nuit. Une nuit pendant laquelle les caméras du poste de police se trouvaient être hors service, tout comme les GPS des véhicules de la police militaire (PM).

Le 8 septembre, alors que l'opinion publique est de plus en plus mobilisée sur cette affaire, les autorités organisent une reconstitution. Deux jours plus tard, un juge décide que le gouvernement de Rio devra verser une pension à Elizabete Gomes da Silva. Le 14, deux témoins clés, une mère et son fils, se rétractent. Après avoir affirmé qu'Amarildo avait été enlevé par les trafiquants de la communauté, ils avouent avoir effectué un faux témoignage après avoir reçu 2 000 reais (660 euros) des mains de l'ex-commandant de l'UPP, Edson Santos, et la promesse d'un appartement.

La femme d'Amarildo de Souza face à des policiers, le 14 août, lors d'une manifestation réclamant la vérité sur le sort de son mari.

Le 2 octobre, dix policiers de l'UPP de la Rocinha sont officiellement inculpés pour torture ayant entraîné la mort et dissimulation de cadavre. L'ex-commandant fait partie des prévenus. Le lendemain, l'enquête policière révèle qu'Amarildo a été soumis à des chocs électriques et asphyxié avec un sac plastique. Selon un rapport, les policiers auraient tenté d'obtenir des informations sur le trafic local. Le 14 octobre, le témoignage d'un des policiers du Groupe d'action spécial de répression au crime organisé (Gaeco) indique que davantage encore de policiers auraient été impliqués dans la disparition d'Amarildo. Les détails sordides sur les circonstances de sa mort se multiplient.

"MAIS OÙ EST VOTRE PÈRE ?"

Un des policiers militaires ayant accepté de coopérer affirme qu'Amarildo a été soumis à une séance de torture, puis noyé dans un seau d'eau au sein même de l'UPP. Le 22 octobre, on apprend par la presse que les policiers militaires impliqués auraient tenté de faire porter le chapeau aux trafiquants de la Rocinha. Une information obtenue grâce à une écoute téléphonique opérée sur un des policiers.

Cinq policiers militaires impliqués collaborent désormais à l'enquête. Le 23, Le journal O Globo publie une infographie retraçant le parcours d'Amarildo cette nuit-là. Le même jour, le parquet de l'Etat de Rio met en examen quinze nouveaux policiers, portant à 25 le nombre d'agents inculpés dans cette affaire. Ils sont tous accusés de torture, 17 d'occultation de cadavres, et 13 de formation de bande armée. Les peines de prison encourues vont de 9 à 33 ans de détention.

Le fils d'Amarildo de Souza, le 1er octobre, dans une rue de la Rocinha, près du domicile familial.

Le parquet a promis "une punition exemplaire" pour les coupables. "Le ministère public considère comme un fait gravissime la torture et la mort dans une favela qui était depuis des années sous le joug des trafiquants et qui, via l'UPP, avait la chance de récupérer sa dignité", a déclaré la procureur Carmen Eliza Bastos dans le quotidien O Dia.

Mercredi 23 octobre, les enfants d'Amarildo se sont plaints aux autorités. La veille, des policiers de l'UPP s'étaient moqués d'eux dans la rue en leur demandant : "Mais où est votre père ?"

 Nicolas Bourcier (Rio de Janeiro, correspondant régional)
Journaliste au Monde

Tag(s) : #caraibe-usa-Canada-Amérique Latine
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