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Les présidents ivoirien et ghanéen, Alassane Ouattara et John Dramani Mahama, le 5 septembre 2012 à Abidjan.
Les présidents ivoirien et ghanéen, Alassane Ouattara et John Dramani Mahama, le 5 septembre 2012 à Abidjan.
AFP PHOTO / ISSOUF SANOGO

Par Francis Kpatindé

Il y a quelques mois encore, le Ghana était un havre pour les opposants ivoiriens. Depuis la consultation électorale de décembre 2012, le nouveau président élu a décidé, contre toute attente et au nom de larealpolitik, de sceller une paix de braves avec son homologue ivoirien. Au grand dam des exilés.

John Evans Atta-Mills a dû se retourner dans sa tombe. Jusqu’à sa brutale disparition, le 24 juillet 2012, le débonnaire président socialiste ghanéen s’était opposé à toute expulsion ou extradition d’opposants ivoiriens. Ces derniers avaient été accueillis à bras ouverts dans son pays dans la confusion générale qui avait entouré le tragique dénouement de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire (décembre 2010-avril 2011).

Le successeur constitutionnel par intérim d’Atta-Mills, le vice-président John Dramani Mahama, a dans un premier temps semblé s’inscrire dans la même logique, refusant lui aussi à plusieurs reprises de céder aux multiples pressions d’Abidjan. Mais depuis sa confirmation au suffrage universel, au terme d’un scrutin controversé, le 9 décembre 2012, et son investiture, le 7 janvier dernier, John Dramani Mahama semble avoir perdu la mémoire.

Abéhi et Dibopieu, deux gros poissons

Les arrestations (aussitôt suivies d’expulsions) se multiplient dans les rangs des exilés ivoiriens au Ghana. Après Charles Blé Goudé, l’ex-chef des « jeunes patriotes » arrêté le 17 janvier à Téma, dans la zone portuaire d’Accra, puis expulsé dès le lendemain vers la Côte d’Ivoire, deux nouvelles personnalités pro-Gbagbo ont été interpellées le 4 février, conduites illico par la route à Elubo, poste-frontière entre les deux pays. Elles ont été livrées sans autre forme de procès à la police ivoirienne.

Il s’agit, comme Charles Blé Goudé, de gros poissons : le commandant Jean-Noël Abéhi, ex-patron de l’escadron blindé de la gendarmerie, une unité d’élite basée dans la caserne d’Agban, dans la commune populaire d’Adjamé, à Abidjan ; et Jean-Yves Dibopieu, ancien secrétaire général de la très turbulente Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci).

Ils avaient table ouverte chez Gbagbo

Alors, le président Mahama serait-il le Janus ghanéen ? « Nous sommes d’autant plus inquiets que nous ignorons les raisons de ce revirement subit, confie au téléphone un proche parent de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, à Accra. Les uns évoquent des pressions américaines sur le Ghana, d’autres parlent d’un deal secret entre deux Etats liés par l’histoire, l’économie et la culture, d’autres encore de realpolitik. L’expulsion de nos camarades est d’autant plus injuste qu’aucun partisan de Ouattara n’a été arrêté depuis l’accession de ce dernier au pouvoir. Mêmes ceux qui ont été indexés par l’ONU n’ont pas été inquiétés… »

Tout, pourtant, opposait John Dramani Mahama et son homologue ivoirien, Alassane Dramane Ouattara. Et d'abord les courants de pensée dont l’un et l’autre se réclament : la social-démocratie pour le premier, le libéralisme pour le second. Les accointances entre le Front populaire ivoirien (FPI, de Laurent Gbagbo) et le National Democratic Congress (NDC, au pouvoir à Accra) ont même longtemps irrité Ouattara. Les présidents ghanéens successifs (par ailleurs, premiers responsables du NDC), John Jerry Rawlings et John Evans Atta-Mills, avaient table ouverte chez Gbagbo. Et vice-versa.

Christine Lagarde peut attendre

A ces motifs - disons - politiques sont venues s’ajouter, plus récemment, les rumeurs selon lesquelles Ouattara aurait financé la campagne de Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, adversaire malheureux de Mahama à la présidentielle du 9 décembre 2012. Akufo-Addo se présentait sous les couleurs du New Patriotic Party (NPP), membre, comme le Rassemblement des républicains (RDR) de Ouattara, de l’Internationale libérale, dont la dernière grande réunion s’est tenue justement à Abidjan. Des motifs qui auraient dû pousser le nouveau locataire du Castle, le palais présidentiel ghanéen, à tenir son voisin ivoirien en respect. Erreur !

Depuis la consécration de Mahama par le suffrage universel, la peur a changé de camp. Au grand dam des exilés ivoiriens. Comme le confirme cet homme d’affaires maghrébin joint au téléphone, dans la capitale ghanéenne, « on note en effet depuis quelques semaines un net réchauffement des relations entre Ouattara et Mahama. Les opposants ivoiriens craignent d’en faire les frais, car ces deux-là ne se quittent plus… » Le président ivoirien est allé à l’investiture de son pair ghanéen, le 7 janvier, n’hésitant pas, pour cela, à ajourner une importante audience avec la directrice générale du Fonds monétaire internationale, Christine Lagarde, en visite à Abidjan.

Mahama n'a « pas d'autre choix »

Le chef de l’Etat ghanéen a, de son côté, fait le voyage d’Abidjan. « De fait, chacun d’eux a fait un pas vers l’autre pour briser la méfiance réciproque, analyse, dans un entretien téléphonique, un haut responsable de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) requérant l’anonymat. Après la présidentielle, Mahama se sent assez fort pour se passer de l’avis des "sécurocrates" et des conseillers qui, dans son entourage, prônaient une méfiance à l’égard du régime ivoirien. »

Et ce responsable de l'Onuci de continuer : « Comme son élection fait l’objet d’une controverse, (Mahama) n’a pas les moyens de faire face à la fois à une crise post-électorale au plan interne, et à la présence d’ennemis irréductibles à ses frontières. Il n’avait pas d’autre choix que calmer le jeu avec Ouattara qui est, la précision a son importance, président en exercice de l’organisation régionale, la Cédéao. »

Rule of law, un vain mot ?

Les retrouvailles ivoiro-ghanéennes semblent donc se faire sur le dos des exilés, sommés de respecter l’obligation de réserve, de ne plus fomenter des incursions armées en Côte d’Ivoire, comme ce fut bien souvent le cas courant 2012, ou de trouver une terre plus hospitalière. « Pour encourager les officiels à plus de fermeté contre certains de ses opposants, Ouattara a donné des assurances selon lesquelles la Sécurité ivoirienne ne porterait pas atteinte à l’intégrité physique des expulsés, poursuit le responsable de l’Onuci. Et, pour donner la preuve de sa bonne foi, il a entamé un processus de dialogue direct avec les dirigeants du FPI en liberté... »

Fort des signaux en provenance d’Abidjan, le Ghana, où le rule of law n’est pas un vain mot, semble avoir opté pour la fermeté. Quitte à prendre des libertés avec la… loi. Les dernières expulsions se sont ainsi déroulées dans le cadre de procédures pour le moins accélérées. Ni Charles Blé Goudé, ni Jean-Noël Abéhi, encore moins Jean-Yves Dibopieu, un ancien syndicaliste, n’ont été présentés à un juge. Ils se sont retrouvés aux mains de la Sécurité ivoirienne avant même que leurs avocats aient eu le temps de réagir. Il en fut autrement, l’an dernier, d’un autre pro-Gbagbo installé à Accra, Justin Koné Katinan, dont la demande d’extradition présentée depuis plusieurs mois par Abidjan, d’un recours à l’autre, est toujours en examen devant les tribunaux ghanéens.

«C’est le GRB qui donne l’asile »

Il est vrai que nombre d’exilés ivoiriens au Ghana semblent ne pas être en règle avec les lois de l’immigration ou de l’asile. La peur au ventre, beaucoup ont fui la Côte d’Ivoire pour un pays voisin dont le régime leur semblait politiquement proche de celui de Laurent Gbagbo. Point. Comme c’est bien souvent le cas en Afrique, ils ne se sont pas présentés aux services d’immigration, ni devant le Ghana Refugee Board (GRB), l’organisme officiel chargé d’examiner les demandes d’asile, parfois avec le concours du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

« C’est le GRB qui donne l’asile et nous envoie les gens pour un suivi et une assistance si nécessaire, explique au téléphone un responsable de l’organisme onusien, dont le siège se trouve à Genève. Dans certains cas, c’est nous qui soumettons les dossiers au GRB, lorsque nous pensons que ces cas méritent attention. Lorsque l’organisme gouvernemental n’est pas de notre avis, nous délivrons un document temporaire aux intéressés, en attendant de leur trouver un autre pays d’asile. »

Casse-tête en perspective

Selon nos informations, Charles Blé Goudé n’était pas enregistré auprès du GRB, ni auprès de la Représentation du HCR à Accra. Idem pour le commandant Jean-Noël Abéhi.

En revanche, Jean-Yves Dibopieu, l’ancien secrétaire général du syndicat étudiant, la Fesci, était bel et bien, jusqu’à son expulsion et sa remise à la Sécurité ivoirienne, le 5 février, officiellement inscrit comme demandeur d’asile au Ghana, ce qui lui conférait, conformément à la Convention de Genève de 1951, une protection juridique. Un casse-tête en perspective pour les autorités ghanéennes et le HCR. Et une aubaine pour les avocats de Dibopieu…

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